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Après l’avoir repoussé pendant longtemps, je me suis finalement décidé de faire mon site sur Internet, avec l’idée d’écrire moi-même ce que j’ai envie de dire, plutôt que de le laisser à d’autres, à des inconnus qui parlent de vous et de votre travail sur Internet, on ne sait jamais ni comment ni pourquoi.

Je trouvais intéressant à mon âge, de raconter mon itérinaire à travers les années, „le fil rouge“ de mon entreprise de cinéaste et de montrer quel sont les „deux, trois thèmes, et les sept, huit variations“ qui dominent mon oeuvre.

 

Fils d’ouvrier italien, je suis parfois surpris, presque incrédule, mêlé à un sentiment d’irréalité, d’avoir été capable, vu mes origines, de réaliser entre 1970 et 2014, 35 films. Parfois j’ai l’impression de les avoir fait en rêvant, ou en somnambule qui se lève la nuit pour aller tourner un film et qui revient aussitôt après dans son lit pour se recoucher.

 

Tout cela je l’ai réussi grâce à une vision claire et précise de ce que j’avais à faire dans cette vie, grâce à la confiance en moi-même qui s’est agrandie au fur et à mesure que j’avançais, ainsi qu’à l’amour, l’aide et à la confiance de mes deux ex-femmes, de mes deux filles françaises, de ma fille zurichoise, et de ma soeur.

 

Un fait déterminant pour le reste de mon existence a été de quitter Zürich, ma ville natale, à 22 ans, pour aller vivre à Paris et pour y voir des films à la Cinémathèque française qui est devenu mon „Université“ où j’ai appris ce qu’est le cinéma, la beauté, la poésie, le langage, la mémoire, la fiction, les acteurs et les actrices, mais aussi ce qu’est l’Histoire, c’est à dire le cinéma compris comme une „leçon politique“, comme un enseignement de la libération des peuples et de l’émancipation de la femme.

 

Ensuite je suis „tombé“ dans les événements de 68 que j’ai suivi comme spectateur, suiveur et sympathisant et qui m’ont marqué pour la vie, ce que l’on voit du reste dans la plupart de mes films.

 

Autre sujet de mon étonnement et de mon incrédulité, est le fait que la Suisse bourgeoise pendant toutes ces années ait financé presque tous mes films, aussi les films dits „politiques“, ce qui probablement n’aurait été possible dans aucun autre pays au monde. Pour tout cela je suis évidemment très reconnaissant.

 

Je pense que le nouveau cinéma suisse, que ma génération a fondé il y a 50 ans, est quelque chose comme un „miracle“. Qu’il a été possible, dans un pays si petit et avec si peu d’Histoire et d’histoires, de faire tant de films souvent merveilleux et qu’il y a aujourd’hui trois générations de cinéastes, à supposer que la mienne existe toujours, qui font des films, et qu’elles se sont succédées naturellement en se fondant les unes dans les autres.

 

Le problème que nous avons depuis quelques temps et que le „système“ n’arrive plus à resoudre, est paradoxalement le trop grand nombre de talents, ce qui d’abord fait partie de ce que j’appelle „le miracle“, mais qui est aussi devenu un cauchemar, car il n’y a évidemment pas assez d’argent pour financer tout ce monde et tous ces projets.

 

En ce qui me concerne, je ressens le cinéma suisse comme ma „patrie“, ma vraie, ma seule patrie. En voyant un film suisse, je me sens parmi les miens, parmi mes semblables.

 

Le cinéma suisse est l’effort culturel et collectif le plus important dans ce pays, et ceci depuis de nombreuses années. Et pour cela il faut être reconnaissant et remercier les hommes et les femmes politiques qui votent tous les ans pour les crédits du cinéma. Ainsi qu’à la Télévision suisse, aux fondations et aux quelques mécènes privés qui participent au financement de nos films.

 

Mais ce ne sont pas seulement les cinéastes qui doivent être reconnaissants, aussi le pays lui-même, la population, tout le monde. Nous avons besoin de la Suisse, mais la Suisse a aussi besoin de nous, car sans nous ce pays serait culturellement et politiquement beaucoup plus pauvre, plus ennuyant, et à mon avis aussi nettement moins sympathique.

 

On parle beaucoup d’“identité“ ces temps-ci. J’aimerais dire à ce sujet que l’identité d’un peuple a à faire avec sa culture et la culture avec son identité.

 

Ce sont nous, nous les cinéastes, nous les écrivains, nous les peintres, etc. qui fabriquons „l’identité nationale“, et personne d’autre. Il ne suffit pas de parler d’elle une fois par an le 1er août dans telle ou telle féstivité folclorique, il faut la reconstruire, la recréer, la relégitimer toujours de nouveau, et ça se fait à mon avis essentiellement par la fabrication d’objets culturels.

 

J’ai tourné un certain nombre de films dans des pays étrangers, et je le ferai encore dans les années à venir avec mes prochains et derniers films, car un petit pays comme la Suisse s’épuise en terme de sujets et d’histoires au cours des années. On ne peut pas toujours filmer le même genre de personnages dans les toujours mêmes paysages, dans un pays aussi petit, il faut aller voir ailleurs, ce qui du reste a été faite par tous les „grands“ de la culture suisse.

 

La Suisse a besoin, plus que beaucoup d’autres pays au monde, de l’étranger dans tous les sens du terme, pour échapper à une certaine étroitesse et petitesse d’esprit et pour dépasser cet „épuisement des sujets“, et le manque de confiance en nous-mêmes aussi qui nous guette.

 

Max Frisch, le maître et grand éducateur, a parlé de ça très joliment dans son premier „Journal“: „Notre désir du monde, notre engouement pour les larges et plats horizons, notre nostalgie de l’étranger.“

 

J’ai fait ce site pour fournir quelques informations sur mes films, sur moi aussi et d’où je viens, ce qui détermine ma pensée, et encore pour raconter ce qui s’est passé avec certains de mes films dits „politiques“, en termes d’attaques, de censures et de brimades.

 

Une fois, lors d’une semaine du cinéma suisse en Argentine, le public a pu voir, parmi d’autres films, mon „Dani, Michi, Renato & Max“. C’était juste après la dictature des militaires qui avaient fait assassiner 30'000 militants politiques. Certains spectateurs avaient trouvé bien exagéré, carrément un peu ridicule qu’un cinéaste de cette Suisse nantie et autosatisfaite, vienne leur montrer un documentaire de 138 minutes sur „seulement“ quatre jeunes tués dans des „accidents“ avec la police. Mais quand ils ont appris que ce film avait été financé par le gouvernement suisse et la Télévision publique, ils se sont dit, „voilà, ce qu’on aimerait avoir ici, pouvoir faire des films sur ces dernières années, sur notre souffrance et sur nos martyrs, et ne pas finir en prison pour cela, mais que ces films seraient financé par le gouvernement et montrés à la télévision.“

 

Ainsi, un film qui avait été considéré en Suisse par certains comme un dénigrement et une manière de „nous cracher dans la soupe“, est devenu pour les specatateurs à Buenos Aires, un film „de propagande“ d’une Suisse démocratique et libérale.

 

Une jeune américaine qui avait fait des études en Suisse, m’a écrit un jour, qu’elle était contente d’avoir vu mon film sur les combattants d’Espagne, qui lui aurait montré qu’il y a aussi d’autres gens dans ce pays, que ceux qu’elle avait rencontré lors de son séjour chez nous, avec lesquels elle avait eu à faire et qui l’avaient souvent déçus.

 

Et c’est je crois ce que le cinéma suisse a toujours réussi à faire, c’est-à-dire montrer „l’autre“ Suisse, la Suisse cachée, humiliée, censurée, à laquelle nous avons rendu sa voix étouffée, sa dignité perdue, et que nous avons ainsi reintroduite dans notre Histoire et en quelque sorte „réhabilitée“.

 

Il n’y a presque aucun événement historique et presque aucune personnalité connue ou inconnue de l’ancienne ou de la nouvelle Histoire suisse, à travers des figures publiques ou privées, qui n’ait pas été découverte, reconnue et honorée dans un film suisse.

 

De nouveau à Buenos Aires, quelques années plus tard, lors d’un grand débat dans un festival de cinéma, sur l’état du cinéma documentaire et ses conditions de fabrication, j’ai entendu une femme de Paris demander publiquement, „pourquoi est-ce que le cinéma documentaire suisse est-il le meilleur au monde?“ J’étais surpris d’entendre cela et me demandais si c’était éventuellement vrai.

 

Quoi qu’il en soit, on peut dire sans exagération et sans vantardise, qu’il n’y a probablement aucun pays au monde où on fait autant de bons, parfois de grands et magnifiques documentaires qu’en Suisse. Le cinéma documentaire suisse est certainement une des grandes écoles du documentaire dans l’Histoire du cinéma. Et de cela on pourrait peutêtre être un peu fière, non pas forcément nous, les cinéastes, mais les autres, le pays, la société, les gens, qui sais-je. Car nous ne sommes pas „les meilleurs au monde“ dans beaucoup de domaines, n’est-ce pas?

 

Je ne veux pas dire avec tout cela qu’il n’y aie pas aussi de très bons films de fiction en Suisse. Je pense simplement que le documentaire est quasi notre „spécialité“. Le travail sur le réel et à partir du réel nous convient apparamment mieux que „l’imaginaire“. Et puis, il est beaucoup plus facile de faire des documentaires que de la fiction, car dans le documentaire tout est toujours déjà là, on n’a pas besoin d’inventer le monde, il suffit de le „lire“, de le comprendre et de le traduire en film.

 

Voici donc la site d’un cinéaste suisse qui a passé sa vie entre Zürich et Paris et qui a apporté sa part à cette histoire du nouveau cinéma suisse et qui y apportera encore sa part pendant quelques années, si on lui donne „la permission et la légitimité“ de le faire, ce pourquoi je lutterai comme d’habitude, sans jamais me laisser décourager, et sans jamais faire le moindre compromis esthétique ou politique.

 

Merci à ma fille Sarah, de Paris, pour avoir corrigé un certain nombre de mes fautes de français, comme je ne l’ai pas suivi aveuglement dans ses propositions, il doit en avoir encore. J’espère que ce n’est pas trop grave.

 

Page Web: Lara Hacisalihzade

Dès "Le Voyage de Bashô": Jeannette Dindo

Introduction

 

 

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